Baise-moi, la violence n’est pas l’apanage des hommes

Pourquoi y’a pas un Tarentino meuf ? Et c’est pas une question de talent, on le sait ça, c’est une question de possibilité de : à qui est-ce qu’on donne l’argent ? – Virginie Despentes, 2019

Baise-moi fut projeté à la cinémathèque universitaire le soir de l’allocution présidentielle qui décidait de la fermeture de tous les établissements scolaires, de la maternelle à l’université. Après les réformes mettant en péril nos conquis sociaux, la récompense aux Césars de Polanski et les répressions policières grandissantes, notamment lors de la marche féministe du 7 mars dernier, voir Baise-moi a été pour moi un exutoire. Au vue des réactions à la fin de la projection, je fus la seule.

Baise-moi est un film de Virginie Despentes sorti en 2000 et adapté de son roman éponyme de 1994. Despentes nous raconte la rencontre de deux jeunes femmes, Nadine et Manu, toutes deux passionnées de sexe et grandes consommatrices d’alcool et de drogue. Leurs chemins se croisent après leur premier crime et tout le film suit les pérégrinations de ces femmes en cavale. A travers des scènes de sexe non simulées et un traitement brut de la violence, Virginie Despentes tient un propos très cru sur la réalité sociétale de son époque. Pour ces raisons, le film est très vite classé X et interdit aux mineurs. En ce sens, la réalisatrice a réussi à prouver que le sexe est toujours un enjeu politique.

King kong théorie, essai paru en 2006 est une réflexion de Virginie Despentes sur sa vie et son œuvre. Grâce à cette interrogation sur la sexualité féminine comme enjeux de pouvoir, le roman et film apparaissent comme une mise en fiction de ses théories. Elle nous dit par exemple :

Je suis furieuse contre une société qui m’a éduquée sans jamais m’apprendre à blesser un homme s’il m’écarte les cuisses de force, alors que cette même société m’a inculqué l’idée que c’était un crime dont je ne devais jamais me remettre.

Dans tout le film, Despentes joue avec les codes de la morale. C’est justement ça qui a troublé les spectateurices de la séance. Beaucoup on vulgairement comparé Baise-moi à un rape and revenge. Ces réflexions minimisent l’impact du propos de Despentes, associant le viol subit par Manu au début du film à la cause première de son désir de violence. Cela veut dire aussi que lorsqu’un personnage féminin a recourt à la violence, cette dernière doit être expliquée et est une réaction de force majeure. Le viol, dans le rape and revenge, est montré comme la plus haute perte de dignité et que le seul moyen de se reconstruire, de sauver cette soi-disante dignité, serait de tuer la personne responsable. Le discours de ce genre de film est que face à une attaque suprême, seule l’auto justice vaut. Or ce n’est absolument pas le propos de Virginie Despentes ici. Surtout que dans la plupart des films qui représentent la violence, seuls les personnages masculins s’en emparent, parfois même sans que la narration justifie leurs actes. Dans nos représentations contemporaines, la violence serait l’apanage des hommes, associés à une masculinité hégémonique qui met en avant une virilité violente et sans bornes.

Dans la salle, un spectateur se joint au débat en soulignant que Despentes jouait le jeu des réalisateurs masculins, alors qu’elle aurait pu proposer une autre représentation de la violence. Comme si cet homme assis là, dans les premiers rangs, bien au milieu de sa rangée, pouvait décider comment les réalisatrices devraient filmer. Cela confirme ce que nous venons d’exposer, dans l’imaginaire collectif, la violence est l’apanage des hommes. Et c’est bien cela le problème. Faire un film, c’est dépendre de financements. Virginie Despentes l’explique bien au micro de Victoire Tuaillon dans son podcast Les couilles sur la table :

Pourquoi y’a pas un Tarentino meuf ? Et c’est pas une question de talent, on le sait ça, c’est une question de possibilité de : à qui est-ce qu’on donne l’argent ?

Pour le moment, le cinéma, avec au sommet une élite d’hommes blancs cisgenre, ne permet pas aux réalisateurices de réinventer les codes de cette industrie. Il nous faut nous questionner sur comment est-ce qu’on regarde, comment est-ce qu’on filme, qu’est-ce qu’on raconte et finalement, quel discours donnons-nous sur le monde ?

Baise-moi dérange car il remet en cause la société patriarcale dans laquelle nous vivons, notamment dans la manière qu’a Despentes de désacraliser les corps féminins. Dans ce film, les spectateurices ne regardent le corps de Manu et de Nadine que lorsque les deux personnages les donnent à voir. Et lorsqu’elles le font, c’est avant tout pour elles-mêmes et non pour les autres personnages, la plupart du temps masculins. Pendant les scènes de sexe, elles se regardent et décident alors par elles-mêmes ce que l’autre, le personnage masculin, peut voir et faire de leurs corps. L’érotisation se fait dans un geste conscient. Elles n’hésitent pas à couper court tout acte sexuel quand ce dernier ne leur convient pas, et en ce sens, font exactement ce que théorise Despentes dans King Kong Théorie. En poussant le curseur à l’extrême, Despentes nous montre que l’ego associé à une masculinité virile pose problème.

Aujourd’hui, Baise-moi est un film qui a visuellement vieillit mais dont le propos est toujours d’actualité. Beaucoup lui reproche cette image numérique brute et un jeu d’acteurice de mauvaise qualité mais il nous fallait rappeler que ce film a été produit par une entreprise pornographique. Les acteurices sont des professionnelles à qui on ne demande pas forcément de jouer ce genre de rôle. Iels ont été recrutés pour des raisons budgétaires, mais aussi pour leur aisance dans les scènes de sexes non simulées. Baise-moi résulte donc d’une série de choix opérés par ses deux réalisatrices, Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi, qui montre tous les problèmes économiques que pose des films féministes. Le financement est une question fondamentale dans l’industrie qu’est le cinéma et influe considérablement les choix esthétiques. Ainsi, un cinéma plus inclusif et représentatif semble encore cantonné à la scène underground dans les années 2000. Heureusement, cette affirmation est de plus en plus fausse, notamment dans le développement de la série, qui permet peut-être de donner plus de matière aux personnages, en en faisant moins des archétypes.

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